CORSIA : Exigences du programme et enjeux associés
Avec CORSIA le secteur de l’aviation est tenu de compenser ses émissions de GES au-delà de 2020. Nous avons présenté les éléments structurants du programme dans un premier article (ici). Cette seconde partie vise à détailler les modalités de mises en œuvre et les principaux enjeux pour les acteurs concernés.
1. Les exigences de CORSIA : méthode de calcul et modalité de compensation
a. Méthode de calcul
Comment les exigences de compensation sont-elles calculées ? CORSIA adopte une formule qui prend en compte le niveau d’émissions de l’exploitant, l’évolution du secteur et de l’exploitant, et les consommations des carburants d’aviation durables.
Sous le système du suivi, du compte rendu et de la vérification (MRV – Measuring, Reporting and Verification), les données d’émissions du secteur d’aviation internationale sont centralisées chaque année à partir de 2019. Le facteur de croissance, correspondant au pourcentage d’augmentation de la quantité des émissions de l’année N par rapport au niveau de référence – niveau moyen des années 2019 et 2020 – est calculé par l’OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale) pour l’ensemble du secteur et des exploitants individuels. Ce facteur de croissance est ensuite appliqué au niveau des émissions de l’année N d’un exploitant avec un poids relatif sectoriel ou individuel afin d’obtenir la quantité provisoire à compenser.
Il est important de noter que pour les trois périodes entre 2021 et 2029, seul le facteur de croissance sectoriel est appliqué. Celui-ci a pour objectif de stabiliser le niveau d’émission à l’échelle du secteur mais cela a tendance à pénaliser ceux qui font le plus d’efforts de réduction. En revanche, le facteur de croissance individuel jouera un rôle plus important à compter de 2030, et sera appliqué à minimum 70% pour la période 2033 – 2035 (cf figure 1). Etant donné le cycle d’investissement, il est dans l’intérêt des compagnies aériennes d’anticiper au plus tôt ces facteurs de croissance.
Les exigences de compensation finales tiennent également compte des bénéfices de la consommation de carburants durables pour l’aviation, ceux-ci devant générer au moins 10% de réductions nettes de gaz à 2 effet de serre (GES) par rapport aux carburants de référence sur la base du cycle de vie et respecter les critères en termes de stockage de carbone. Si un exploitant utilise des carburants durables certifiés, les gains en GES liés à ces consommations seront déduits de ses obligations de compensation pour la période de conformité de 3 ans. Ainsi, le dispositif CORSIA encourage le progrès au niveau individuel et sectoriel, ainsi que l’adoption des carburants moins émissifs.
b. Modalité de compensation
Afin de répondre à leurs obligations, les opérateurs sont tenus d’acquérir des « unités d’émissions admissibles » à hauteur de leurs exigences de compensation finales pour chaque période. Il s’agit de crédits carbones provenant du financement de projets de réduction de GES (ex. énergies renouvelables, reforestation, efficacité d’énergie…) ou de séquestration d’émissions de GES, conformément aux critères de CORSIA. 1On appelle ces financements de projets la compensation volontaire.
Contrairement au mécanisme tel que le système d’échange de quotas d’émissions de l’UE (SEQE-UE), CORSIA ne prévoit pas un seul marché de crédits carbone, mais s’appuie sur les programmes éligibles pour la gestion des transactions des crédits carbone. En effet dans le cadre du SEQE-UE, les quotas émis par la Commission sont achetés par les compagnies, stockés sur leur compte à la Caisse des Dépôts (faisant office de registre français et assure le lien avec le registre central européen), puis rendus à hauteur de leur besoin de conformité.
Dans le cadre de CORSIA, chaque programme admis regroupe plusieurs projets éligibles. Ces projets reçoivent de la part de l’OACI des unités carbones qu’ils vendent ensuite sur le marché. Les programmes sont alors tenus de remplir un registre dans lequel ils indiquent si les unités délivrées par l’OACI sont détenues par les projets ou si elles ont été achetées et par quelles compagnies. Ces dernières propriétaires d’unités pourront par la suite contacter le programme afin de demander l’annulation d’un certain nombre d’unités pour se référer au dispositif CORSIA. Le programme rend alors publique l’annulation des quotas en détaillant les informations suivantes pour que cette annulation puisse être vérifiée par les Etats et l’OACI :
- la quantité, les numéros de série, la date d’annulation, le nom du programme, le type d’unité, le pays hôte, la méthodologie, la démonstration de l’admissibilité à la date de l’unité et le nom de l’opérateur pour le compte duquel les unités ont été annulées. 2
- Il n’y a donc pas un unique « compte en banque » d’unités centralisé à l’OACI qui pourrait se décliner en instances nationales. Les programmes et les projets qui leurs sont rattachés sont des entités autonomes et les programmes font en quelque sorte office d’agents qui attestent de la quantité d’unités annulées au titre de la conformité à CORSIA. Une fois la conformité effectuée, la compagnie doit émettre une déclaration d’annulation d’unités, contenant toutes les pièces justificatives nécessaires.
2. Les enjeux de CORSIA : quels rôles pour quels acteurs ?
Un dispositif tel que CORSIA ne peut fonctionner qu’à travers l’investissement de plusieurs acteurs, dont les enjeux diffèrent selon les rôles qui leur sont attribués (cf figure 2). Sont notamment concernés :
– Les opérateurs aériens, acteurs principaux de CORSIA, et ceux pour lesquels les enjeux sont les plus importants ;
– Des certificateurs accrédités, sollicités pour différents certificats nécessaires à la validation des dossiers et faire avancer le processus ;
– Les acteurs de compensation tels que les porteurs de projets qui vendent leurs crédits carbones aux compagnies ;
– Des mandataires qui peuvent jouer le rôle d’intermédiaire entre les porteurs de projets et les compagnies aériennes ;
– Les producteurs de carburants et pétroliers qui vont devoir s’adapter à un nouveau marché, à savoir celui des carburants durables.
Dans le but de compenser leurs émissions de GES sur leurs vols internationaux, les compagnies aériennes ont intérêt à avoir un accès aux crédits carbone le moins onéreux possible. Pour cela, il convient à chacune de décider quelle solution adopter dans leur stratégie d’acquisition de crédits carbone : investir sur des fonds de projets, établir des contrats directs avec des porteurs de projets, ou indirects via l’intervention d’un ou plusieurs mandataires, ou encore créer des projets en interne qui seraient éligibles par des programmes.
Plus qu’une simple compensation de leurs émissions de GES, l’objectif de CORSIA est d’inciter dès maintenant les compagnies aériennes à réduire progressivement leurs émissions en envisageant une réduction de 50% des émissions du secteur d’ici 2050 par rapport à 2005. Il est donc dans l’intérêt des opérateurs d’améliorer dès maintenant l’efficacité énergétique de leur flotte et d’accélérer la transition vers des carburants moins émissifs. Ils doivent correspondre aux attentes de rendement actuel des carburants classiques pour un coût qui reste abordable en comparaison. Cependant, le prix estimé en 2015 pour 1 kg de kérosène classique est à 0,78 $, tandis que pour les carburants dits durables le prix est de 1,5 $/kg en moyenne. Ainsi, il peut être intéressant pour les compagnies d’établir des contrats avec des producteurs de carburants durables pour amortir les coûts.
Afin de les accompagner dans leurs démarches, les compagnies aériennes peuvent faire appel à des mandataires. Leurs réseaux de porteurs de projets et de clients leur permettent de jouer un rôle d’intermédiaire et de pouvoir accélérer les processus d’obtention et de vente de crédit carbone en fonction de leurs interlocuteurs. Ainsi, le marché devient plus actif car il prend en compte l’offre et la demande de chaque partie concernée, tout en assurant le respect de la conformité réglementaire des dossiers. Les mandataires peuvent également aider les acteurs de compensation à faire certifier leurs projets par des programmes éligibles en leur trouvant contacts et investissements.
Ces certifications se font auprès de certificateurs accrédités, amenés à intervenir sur plusieurs étapes du dispositif. Ils ont un rôle de supervision par le biais des diverses certifications à délivrer, notamment : les certifications de plan de suivi des données de compensation et d’annulation des unités carbone réalisées par les compagnies aériennes et les porteurs de projets, les certifications de plan de suivi des données d’émissions des compagnies, ainsi que les certifications concernant les carburants durables produits par les producteurs de carburants et les pétroliers.
Pour finir, l’enjeu principal des producteurs de carburants et pétroliers concerne l’adoption des carburants durables en remplacement des kérosènes classiques. Pour ce faire, une étude du marché des carburants alternatifs est nécessaire afin de définir leurs budgets d’investissements dans la production nouveaux produits. En général, les principaux coûts de production de carburants durables résident dans le coût et la composition des matières premières, le coût des procédés utilisés, le rendement global de la conversion, la qualité et la composition finale du carburant. On peut également ajouter les dépenses d’exploitation, la logistique et les ressources initiales de production. 3CORSIA encourage cette démarche d’adoption, ainsi un fort impact sur le marché des kérosènes classiques devrait être observé d’ici les prochaines années. Dans le cadre du dispositif, les producteurs de carburants et les pétroliers ne traitent qu’avec les certificateurs et les compagnies aériennes.
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Contact : nicolas.barrois@dekkha.com
(1) ADEME. ‘La compensation volontaire’. Disponible sur le site de l’ADEME : https://www.territoiresclimat.ademe.fr/ressource/55-19
(2) IATA. ‘An Airline Handbook on CORSIA’. Août 2019, p 36. PDF disponible en ligne.
(3) OACI. ‘Conférence sur l’aviation et les carburants alternatifs’. Octobre 2017, p. 4. PDF en ligne. https://www.icao.int/Meetings/CAAF2/Documents/CAAF.2.WP.008.1.fr.pdf