Biofuels : quand l’hétérogénéité des règles européennes perturbe la vision stratégique moyen terme.
Dans une interview accordée dimanche 24 novembre (1), Patrick Pouyanné, PDG du Groupe TOTAL estimait que, sur le sujet des Biofuels « la France veut jouer à part du reste du marché européen ». Cette remarque concernait en premier lieu l’amendement à la loi de Finance 2020 dont le texte proposait de reporter à 2026 l’entrée en vigueur d’une mesure qui visait à exclure, à compter du 1er janvier 2020, l’huile de palme de la liste des biocarburants bénéficiant d’une exonération fiscale, là où Bruxelles et le reste de l’Europe se sont positionnés sur 2030 (2).
Alors oui, les règles sur l’huile de palme ne sont pas harmonisées au niveau européen. Mais ce sujet de l’huile de palme n’est malheureusement qu’un épiphénomène au regard des vastes différences qui existent d’un pays à l’autre dans le domaine de Biofuels ! Et comment, dans ce contexte réglementaire instable et hétérogène, établir une stratégie moyen terme pertinente ?
1. De quelle Europe parle-t-on ?
A ce stade notre étude ne porte pas sur l’intégralité des pays de « l’Europe des 28 ». Certains pays n’ont pas été intégrés du fait de leur taille ou de leur absence de spécificité en lien avec le sujet des Biofuels et nous avons considéré la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Pour différentes raisons, la Suède, la Norvège et Chypre seront probablement intégrées dans une version enrichie de l’étude.
7 pays dans notre périmètre donc, mais qui constituent un échantillon représentatif des disparités géographiques observées au sein même de l’Europe.
2. De grandes disparités dans le ‘mix’ national ainsi que dans les objectifs 2020
Si on ne regarde que la part des énergies renouvelables dans le secteur des Transports (ou RES-T pour Renewable Energy Share in Transport) sur l’année 2017 au titre de la directive européenne RED (Renewable Energy Directive) de larges différences émergent déjà. La France fait figure de « bon élève » avec 9,1%, grâce notamment à un taux élevé de biocarburants de première génération, là où le Royaume-Uni et les Pays-Bas plafonnent respectivement à 5,1 et 5,9%.
Mais la hiérarchie n’est plus si limpide lorsque l’on s’intéresse aux objectifs nationaux fixés pour 2020 : Les Pays-Bas ambitionnent de faire progresser la part des Biofuels pour atteindre 16,4%, et c’est le seul pays à avoir déterminé une cible au-delà de 10% en contenu énergétique (3), avec… le Royaume-Uni (10,8% en volume, donc moins en contenu énergétique du fait du rendement inférieur des biocarburants). Alors, certes la marche est haute, et il conviendra d’étudier les chiffres avec attention, mais la volonté de promotion des Biofuels est nettement assumée.
Le sujet se complique encore lorsque l’on étudie les niveaux de « crop-based Biofuels », les biocarburants issus de produits alimentaires tels que l’huile de Palme ou de Colza, tolérés dans le comptage global. S’il y a un consensus « partiel » à 7% suivant le plafond défini au niveau européen (4) (France, Italie, Belgique), le Royaume-Uni et les Pays-Bas se veulent là-encore plus vertueux et plafonnent ces produits à 4% et 5% respectivement.
Enfin en intégrant les objectifs nationaux sur les Biofuels de 2ème et 3ème générations, dits « Advanced Biofuels », la hiérarchie est encore bousculée. Les Pays-Bas ambitionnent un niveau de consommation de 1% pour les Advanced Biofuels (par rapport à la consommation totale de carburant dans le Transport) là où l’Allemagne envisage plus modestement une cible à 0,05%, soit 20 fois moins. Le Royaume-Uni, aujourd’hui le meilleur placé sur ce sujet parmi les pays étudiés, adopte un périmètre plus restreint sous la définition des « development fuels », afin de favoriser les biocarburants principalement à base de déchets.
L’ébauche de stratégies nationales spécifiques se détache déjà à ce stade. En jouant sur les contraintes réglementaires ainsi que sur les aspects technologiques, les pays exploitent les béances laissées par l’Europe pour mettre en œuvre les modalités d’action les plus aisées compte-tenu de leurs spécificités, mais pas nécessairement les plus efficaces.
3. Des mécanismes de régulation différents
Les mécanismes de régulation constatés en Europe oscillent entre deux systèmes, agrémentés de variantes locales : un système de taxation qui applique une pénalité financière en cas de non-atteinte des objectifs nationaux ou des modalités de « Biofuel certificate / ticket trading » qui peut se rapprocher de celui des bourses Carbone voir des Certificats d’Economie d’Energie.
Il en résulte nécessairement un manque de lisibilité du système et l’impossibilité de mettre en œuvre une démarche cohérente au niveau Européen.
4. Une hétérogénéité des pénalités financières
Dernier point de désaccord notable, le montant des pénalités financières, de même que le mode de calcul de ces pénalités, varient largement d’un pays à l’autre au sein de l’Europe. En France on applique un ratio de 1,01€ / Litre de Biofuel manquant en 2020 (0,98€ en 2019, 1,01€ en 2020), en Italie c’est 750€ / Certificat manquant, soit environ 2,7€ / Litre pour les Biofuels conventionnels et 5,4€ / Litre pour les avancés, tandis que l’Allemagne mesure la pénalité en équivalent de Tonne de CO2 non économisée.
Cette hétérogénéité n’est pas vertueuse et peut potentiellement entraîner des stratégies de « gestion de pénalités à l’échelle européenne. En clair, au regard de ces différents modes de calcul, il est plus rentable de ne pas satisfaire à son obligation réglementaire dans certains pays que dans d’autres.
5.Une maturité globale sur le sujet complexe à appréhender
Dans ce contexte très morcelé, établir une note de maturité d’un pays sur le sujet des Biofuels n’est pas une chose aisée. 3 critères sont en effet à combiner :
- La part globale des énergies renouvelables dans le secteur du Transport sous les critères de la RED II (Renewable Energy Directive 2).
- Le pourcentage de Biofuels dans le RES-T (Renewable Energy Share in Transport)
- Le développement des Biofuels de 2ème et 3ème génération au sein du mix Biofuels national.
Il est alors possible d’établir un radar schématique : l’aire délimitée est d’autant plus importante que la maturité du pays sur les biocarburants est avérée. Cela intègre un contexte de changement règlementaire où l’Europe vise à augmenter la part des énergies renouvelables dans le secteur Transport, ainsi qu’à encourager l’intégration sur le marché des biocarburants ‘avancés’.
Etablir une stratégie Biofuels à l’échelle européenne et envisager d’optimiser la chaîne d’approvisionnement n’est donc pas une chose aisée. Il est nécessaire de maîtriser les spécificités locales, d’anticiper les changements réglementaires, d’établir un plan de transformation moyen terme et – enfin – de piloter l’ensemble des initiatives.
DEKKHA Consulting est en mesure de mener les analyses de marché, de définir la meilleure stratégie industrielle et commerciale puis de réaliser la mise en œuvre opérationnelle. Nous combinons pour ce faire une longue expérience dans l’Energie et notamment l’industrie pétrolière ainsi que des compétences financières, réglementaires et techniques.
(1) Source : Reuters – 24 Novembre 2019 « Total : La survie de La Mède « en jeu », selon le PDG de Total »
(2) L’amendement n’est pas passé au seconde vote, les produits à la base de l’huile de palme seront exclus dès 2020 [Source : https://www.lemonde.fr/energies/article/2019/11/15/l-assemblee-rejette-l-amendement-controverse-sur-l-huile-de-palme_6019373_1653054.html]
(3) Pour les Pays-Bas en 2020 l’objectif de 16,4% prend en compte l’électricité renouvelable pour le transport routier, mais vu sa faible importance cela implique toujours une ambition au-delà de 10% pour les biocarburants.
(4) Le plafond de 7% a été introduit par la directive « ILUC » européenne en 2015 et est censée d’être transposé au niveau national avant septembre 2017